Par les enseignants des collèges Romain Rolland d’Ivry-sur-Seine, Jean Macé de Clichy, La Rochefoucauld de la Ferté-sous-Jouarre, Barbara de Stain.
« Apartheid territorial, social, ethnique ». Lors de ses vœux à la presse présentés le 20 janvier, le Premier ministre, Manuel Valls, a employé pour évoquer les quartiers dans lesquels nous enseignons des mots forts, des mots qui choquent. Cet aveu serait-il une soudaine prise de conscience des plus hauts représentants de l’État ?
Suite aux terribles attentats qui ont ému bien au-delà de notre territoire national, politiques et médias se sont inquiétés : notre école laisse trop de jeunes sur le bord du chemin et la laïcité serait en danger.
Comme souvent en pareil cas, nos politiques se hâtent de prendre des mesures superficielles qui semblent prendre les problèmes à bras-le-corps mais ne se réduisent en réalité qu’à des déclarations d’intentions, faute de moyens. Aujourd’hui, les enseignants et les parents d’élèves n’en peuvent plus de cet écart coupable entre les discours et les actes. Bien sûr, l’école ne peut pas tout, mais il faut énoncer clairement ce qu’elle peut et doit faire pour sa jeunesse.
Il ne suffit pas de mettre en place un « enseignement moral et civique », car si l’école ne tient pas ses promesses à l’égard des jeunes de ces quartiers, les mots « laïcité » ou « égalité » n’auront aucun sens pour eux. Pire, ils seront synonymes de l’hypocrisie des pouvoirs publics ! Il n’est pas possible de faire adhérer les élèves aux valeurs de la République lorsque l’école, la première institution à laquelle ils sont confrontés, les exclut et ne leur propose rien quand ils sont en difficulté.
Les valeurs de la République, la liberté, l’égalité, la fraternité, la laïcité, ne peuvent se décréter, surtout pour nos élèves. Elles sont à construire jour après jour.
La réforme de l’Éducation prioritaire prétend donner plus à ceux qui ont le moins.
Les Réseaux d’Éducation Prioritaires (REP) bénéficient d’effectifs moindres, de temps de concertation pédagogique, d’un renforcement des liens entre écoles, collèges et chercheurs et de plus de maîtres que de classes. Ils sont établis en fonction de critères socio-économiques précis : le pourcentage d’élèves issus des catégories sociales les plus défavorisées ; le taux de boursiers ; le pourcentage d’élèves issus de zones urbaines sensibles et le pourcentage d’élèves en retard à l’entrée en sixième.
Cette volonté de réforme en transparence paraît louable. Pourtant, de façon injuste et contestable, beaucoup d’établissements sortent de l’éducation prioritaire, alors même qu’ils justifient de ces quatre critères. C’est le cas des établissements où nous enseignons dans lesquels la nécessité d’y appartenir demeure criante : décrochage scolaire ; absentéisme croissant ; détresse sociale ; incivilités ; dégradations de matériel ; violences…
Nous savons que l’école, dans ces conditions, ne pourra pas aider les élèves en difficulté. Le redoublement n’existe quasiment plus et n’a été remplacé par aucun dispositif d’aide efficace et de suivi individualisé des élèves.
Nous exigeons d’être intégrés aux REP.
Mais il ne faut pas se voiler la face. Même ce qui est proposé en REP, de très loin, ne suffira pas. Si l’on veut que l’école garantisse la réussite du plus grand nombre, nous avons besoin de beaucoup plus :
il faut créer des établissements à taille humaine ne dépassant pas 500 élèves ;
créer dans chaque collège une cellule de soutien et de remise à niveau avec des professeurs des écoles spécialisés pour prendre en charge les élèves en échec ou en décrochage ;
limiter les classes à 20 élèves afin d’assurer un véritable suivi individualisé ;
dédoubler les classes en langues afin qu’elles deviennent réellement « vivantes » ;
cesser de recruter des vacataires et contractuels au statut précaire et sans formation, car enseigner est un métier qui s’apprend ;
cesser de faire reposer la moindre action bénéfique pour les élèves sur des heures supplémentaires, notamment l’aide aux devoirs. L’Éducation nationale doit assumer matériellement ce qui est jugé nécessaire pour les élèves et donc le faire entrer dans le service des enseignants ou recruter du personnel spécifique ;
créer un corps vie scolaire mixte composé d’étudiants qui se destinent à devenir enseignants ou CPE et d’assistants d’éducation recrutés sur concours. Assurer à chacun, un statut et une véritable formation pour exercer pleinement ses fonctions. Ce corps ainsi constitué, permettrait de transmettre une culture Vie Scolaire et d’assurer la stabilité des équipes dont on a tant besoin dans les établissements scolaires ;
créer un poste d’infirmièr(e), d’assistant(e) social(e) et de conseiller(e) d’orientation à temps plein ;
pérenniser les équipes avec une prime motivante et une valorisation de points pour les mutations, car une équipe stable est le seul moyen de donner un cadre cohérent et sécurisant pour les élèves ;
dynamiser les vocations des futurs enseignants en considérant le coût de la vie autour de Paris ou dans d’autres grandes villes. L’équité entre les enseignants passe avant tout par leur traitement.